Le mystère de la genèse des créoles dans l’Océan Indien-Conférence donnée par le professeur Robert Chaudenson le 6 octobre à l’Alliance française de Victori |23 October 2004
Position de R. Chaudenson :
Pour R. Chaudenson – qui fonde sa position sur des arguments linguistiques, sociolinguistiques et historiques -, la créolisation de l’Océan Indien se réalise à partir de l’île Bourbon, aujourd’hui île de La Réunion, où s’installent les Français en 1665 pour des raisons à la fois stratégiques et économiques .
Leur adaptation dans l’île est difficile. Peu d’esclaves au début car on n’en a guère besoin et l’on n’a pas d’argent pour les acheter. On se trouve alors dans une société d’habitation avec une prédominance numérique des blancs sur les noirs.
Dans cette société d’habitation, on parle français. Les noirs, importés jeunes (la majorité a moins de 15 ans), sont peu nombreux et apprennent la langue qu’ils entendent parler autour d’eux dans les « habitations » (= exploitations agricoles) et les familles auxquelles ils sont fortement intégrés.
Vers 1720, la Compagnie des Indes songe à occuper l’Ile de France (Ile Maurice actuelle). Elle loue à cette fin les services de Bourbonnais, blancs ou noirs, libres ou esclaves, pour « instruire », disent les textes, les nouveaux habitants de l’île de France où l’on fait venir les premiers esclaves.
Quand les Bourbonnais repartiront à La Réunion en 1722 (au moment où y commence la société de plantation), ils auront laissé une trace linguistique à partir de laquelle va se constituer le créole de première génération en île de France.
En 1770, le processus se reproduit entre l’Ile de France et les Seychelles. Mais à l’époque révolutionnaire, on expatrie aux Seychelles des Bourbonnais lors de la révolte du Sud (ce qui explique les parentés patronymiques). Ainsi, le créole réunionnais va-t-il se « greffer » sur le créole mauricien. C’est pourquoi le créole seychellois est issu de deux créoles, même si la parenté avec le premier est plus forte.
Pour ce qu’il en est des apports africains, on notera que, s’ils sont plus importants dans le créole seychellois que dans les créoles réunionnais et mauricien, ils restent cependant limités (une cinquantaine de mots d’origine bantoue sûre). En effet, si la traite des noirs est abolie dès 1815, l’esclavage ne le sera qu’en 1835 dans les colonies anglaises (Maurice et Seychelles) et en 1848 à la Réunion. D’où une traite clandestine – et un apport, dans le deuxième quart du XIXe siècle surtout, d’esclaves africains qui vont apporter à la langue et à la culture seychelloise des éléments culturels africains inconnus aux Mascareignes (Soungoula, makouti, kapatya, etc.) Les apports malgaches, comme par exemple zurit, lansiv, fangof ou takon sont bien antérieurs et en général communs à tous les créoles.
Enfin, Rodrigues sera essentiellement peuplée par les Mauriciens à partir de 1804.
Le créole rodriguais doit évidemment beaucoup au créole mauricien, mais y sont naturellement inconnus les termes indiens, si importants à Maurice, qui se sont introduite en mauricien après 1835 – ce qui s’explique par le fait que, n’étant pas une île à sucre, Rodrigues n’a pas attiré de main d’œuvre indienne.
Ainsi les créoles ont-ils été transportés d’une île à l’autre et ils ont connu ensuite, chacun de son côté, leur propre développement.
Pourquoi le créole réunionnais se forme-t-il à partir de 1725 seulement ?
Ce qui explique l’apparition des créoles, c’est le passage de la société d’« habitation » à la société de « plantation » , passage qui se marque par un changement démographique majeur : pour développer les plantations, on fait venir une main d’œuvre noire de plus en plus importante et la population noire supplante alors en nombre la population blanche. Ce renversement a une conséquence sociolinguistique : dans la société d’habitation, blancs et noirs vivaient de la même manière et parlaient la même langue, le français de l’époque.
Mais le passage à la société de plantation s’accompagne d’une rupture sociolinguistique entre les blancs et les noirs ; les commandeurs sont désormais des créoles et c’est leur langue qui va passer, en se modifiant, à la main d’œuvre noire.
Dans le cas des Seychelles, la langue qui va être importée, en 1770, est un créole déjà constitué ce qui fait que ce problème ne se pose pas.
Position de Philip Baker :
Pour Ph. Baker, il n’y a aucun rapport entre le créole de La Réunion et les créoles « Isle de France » (Maurice, Seychelles, Rodrigues). Les Bourbonnais n’auraient laissé aucune trace de leur passage à Maurice. Bien plus, pour lui, ces créoles « Isle de France » seraient plus proches des créoles antillais que du réunionnais…
Cette position est difficile à soutenir tant au plan historique que linguistique ; depuis 1982, date de la formulation de cette théorie, Ph. Baker n’a cessé de reculer sur sa position (il admet désormais une influence lexicale, bien difficile à nier) sans pour autant y renoncer.
Pour conclure, le professeur Chaudenson fait retour sur le titre : il n’y a pas, à ses yeux, de mystère dans la genèse des créoles de l’Océan Indien.
La culture du café commence vers 1715-1720. Elle se verra supplantée par l’industrie sucrière au début du XIXe siècle