Théâtre : Victoire Magloire dit Waro, moment tragi-comique d’un réunionnais pendant la guerre 14-18 |23 October 2015
Invités, dans le cadre du Festival Créole, Didier Ibao et Valérie Cros ont mis en scène le parcours d’un poilu, exilé, illettré et humilié, fou amoureux d’une demoiselle Ducasse.
Ce jeudi, au Centre des Conférences Internationales de Victoria à Mahé, avec une scénographie minimaliste, s’est jouée une pièce de la Konpani Ibao, intitulée « Victoire Magloire dit Waro ». Les comédiens ont, tout d’abord, installé le public en position bi frontale, comme deux camps, à la fois opposé et pourtant semblable, comme un jeu de miroir.
Dans ce couloir, les artistes réunionnais, habités par leur personnage respectif, Victoire Magloire et Rolande Ducasse, étaient bien présents sur le théâtre des opérations. En effet, l’histoire se déroule pendant la grande guerre 14-18.
Victoire, un agriculteur, modeste, des hauts de Saint-Denis, est amoureux de Rolande. Epris de celle-ci, il a demandé sa main à son père. Il essuie un refus, car il ne sait ni lire ni écrire. Ainsi, il décide de quitter son coin de campagne pour travailler à la capitale, avec l’espoir de revenir en homme lettré pour épouser Rolande. « – Rolande. Zordi je quitte mon karo la terre, je quitte le Brûlé, je descende Sinn-Ni pou Magloire et pou ta main », a déclamé Victoire à Rolande.
La question du bilinguisme se révèle dans ce texte de Sully Andoche et de Barbara Robert. Victoire est amené lors de son périple à communiquer, d’abord en créole, puis en français, avec des métropolitains ou des Réunionnais de conditions sociales plus élevées. Le public présent, autant seychellois, réunionnais que métropolitain, s’est amusé avec les artistes. Il a participé de façon constante à la pièce. Soit pour faire un concours de grenade, soit pour lire du texte, pour la messe ou pour jouer aux soldats.
Ce maillage de texte bilingue, fait d’idiomatiques, faisant malicieusement hommage à des auteurs comme Charles Baudelaire, Jean Giono ou Arthur Rimbaud, propose un fonds historique rigoureux également. C’est l’histoire régionale dans l’histoire nationale de la grande guerre. Plus qu’un devoir de mémoire, ce moment, rappelle l’absurdité de la guerre et un héroïsme naïf.
Notre agriculteur part pour la capitale de la Réunion, Saint-Denis. Nous sommes début août 1914, une misère insoutenable l’amène à faire des sacrifices pour s’en sortir. L’Allemagne déclare la guerre à la France et s’ensuit l’ordre de mobilisation à la Réunion. Sans le sou, Victoire Magloire se porte volontaire. Il passe sa visite médicale et est déclaré apte. L’officier recruteur découvre, accidentellement, que Victoire est daltonien. Pour identifier ses compatriotes sur le champ de bataille, cela pourrait poser problème. Il est ajourné.
En sortant de la caserne Lambert de Saint-Denis, son destin croise celui d’Ernest Waro dit Ti kapo. Ils décident d’échanger leur identité. Le caporal Ernest Waro, ne voulant plus faire la guerre, échange avec Victoire son ordre d’incorporation. Août 1914, grâce à sa dextérité au lancer de grenade, il devient fusilier grenadier dans le 1er corps colonial et part sur le Melbourne pour Madagascar. En avril 1915, il débarque à Marseille pour sa véritable instruction militaire.
Par la suite, de bataille en bataille, Victoire Magloire, prend conscience, au fil de son parcours initiatique, de la cruauté, de l’humiliation, du désespoir et du traumatisme de la guerre.
Les deux comédiens réunionnais, ont joué, au plus près du public, avec une aisance incroyable. Le décor minimaliste et le texte enrichit a permis au spectateur de se plonger, à sa manière, d’après son imaginaire, dans toutes les scènes proposées.
Cette pièce de théâtre est à la fois pédagogique, didactique, interactif, porteuse de sens et de questionnement personnel. Le public est, finalement, au cœur du spectacle, malgré lui. Peut importe la langue, le milieu social, le lieu ou la culture, les ingrédients coexistent pour un théâtre de proximité. Un moment de poésie vagabonde, de mise en valeur de la langue créole, en petit comité, qui fût fort apprécié, d’après les applaudissements et les rappels du public.
Michèle Félicité